
Marc Chagall, le peintre mystique
6 septembre 2024Là, il y a de la « bonne femme » !
Du tempérament et de la puissance chez cette femme à la fois exploratrice, orientaliste, chanteuse d’opéra, féministe, franc-maçonne, tibétologue, écrivaine, philosophe… et surtout chercheuse spirituelle. C’est au travers des doctrines orientalistes et surtout du Bouddhisme qu’elle va chercher sa voie.
Sa vie est digne d’une conquérante, insatiable elle cherche le chemin de l’éveil sans relâche dans une conquête extérieure et intérieure.
Elle est époustouflante. Je suis bluffée !

« Marche comme ton cœur te mène et selon le regard de tes yeux », très jeune, elle adopte cette devise, et ce pour toute la vie.
A 21 ans, inconditionnelles des arts asiatiques, elle se convertit au bouddhisme. Dans la foulée, elle apprend le sanskrit et le tibétain.
A 23 ans, intrépide et téméraire, elle parcourt l’Inde seule pendant un an.
A 30 ans, elle publie un essai féministe « pour la vie ».
A 36 ans, elle se marie et laisse son mari pour explorer l’Asie.
A 56 ans, elle franchit clandestinement la frontière du Tibet pour découvrir Lhassa, déguisée en mendiante, un acte audacieux qui la rendra célèbre, première européenne à pénétrer dans la ville sacrée.
A 64 ans, de retour dans les Alpes de haute Provence, elle fonde le 1er ermitage lamaïste de France et se consacre à l’écriture.
A 70 ans, le transsibérien la conduit en Chine pour étudier le Tao.
A 100 ans, elle demande le renouvellement de son passeport… avant de mourir à 101 ans.
Voilà en quelques phrases un aperçu du tempérament et de l’exigence de cette femme devant ses désirs de connaissance, d’investigation et de découverte. Une intensité de vie furieuse jalonne ce parcours de vie, portée par le désir impérieux de réponses à ses questions profondes.
Elle est une femme profondément déterminée, dans ses choix, dans sa quête, dans son indépendance, dans sa recherche. Assoiffée, elle est prête à tout, et elle accomplit tout.
« Si tu dois vivre parmi le tumulte, ne lui livre jamais que ton corps. Garde ton âme calme et retirée. C’est un sanctuaire où tu trouveras, quand tu le voudras le bonheur. Les insensés demandent aux autres le bonheur qu’ils ne peuvent pas se donner à eux mêmes »
Née en 1868 de parents âgés, avec une mère puritaine et un père austère, elle se démarque très vite de ce contexte familial. Enfant, ses lectures de Jules Verne et d’autres géographes lui donnent une puissante aspiration à découvrir le monde et ce goût du voyage l’engloutit totalement. Très jeune elle prend une indépendance étonnante pour l’époque.
Pour voyager, elle exerce d’abord le métier de chanteuse lyrique et ainsi elle se produit à Londres, à Athènes, Paris, Hanoï… Et Tunis où elle rencontre Philippe Neel, son mari qu’elle épouse en 1904. Au bout de quelques années de mariage, malgré une vie riche d’écriture et d’étude, elle sent l’appel du voyage la reprendre. Elle parvient à faire financer son voyage d’étude en Inde, où elle se rend pour la troisième fois. Elle promet de rentrer dix huit mois plus tard, elle reste en Asie 14 ans… Son mari restera son fidèle correspondant, son ami et la soutiendra financièrement au retour d’expéditions difficiles.
« J’aspire à l’inconnu. Je sais que les esprits qui se sont penchés sur mon berceau m’ont soufflés :
En route voyageuse, vas ton chemin »
Au cours de ce long voyage qui débute en 1911, elle parcourt l’Inde, le Sikkim, le Népal, le Japon, la Birmanie et La Corée. Elle n’a de cesse au cours de ce voyage de rencontrer de grands maîtres, des monastères, de s’instruire et chercher à pratiquer tous les enseignements qu’elle reçoit. Elle impose son style : Le voyage érudit. Elle veut être une orientaliste de terrain, loin des orientalistes de salon, qu’elle critique beaucoup et elle se fait un nom dans ce monde encore très fermé aux femmes. Au delà de ça, elle est saisit par une quête effrénée. Elle veut vivre les enseignements, pratiquer, ne pas seulement en parler. Elle a cette chance, ou cette audace d’arriver à rencontrer les plus grands maîtres de cette époque, et elle n’hésite pas à parcourir l’Himalaya pour cela et se rendre dans les monastères les plus reculés. Elle est la première européenne à questionner 13e le Dalaï Lama.
A la question « comment approcher la béatitude suprême qui nous libère de tout attachement ? », IL lui répond
« Seul sur la montagne, nu
couché à même le sol d’une caverne,
on se sent dénué de toute crainte.
Plus qu’un grand roi,
Bien mieux qu’un Dieu »
Suite à cette réponse, elle va chercher à vivre cela auprès de l’un des plus grands maître du Sikkim : Le Gomchem de Lachen.
SIKKIM : LA RENCONTRE
Dans sa quête toujours plus exigeante, elle trouve celui qui va lui donner des enseignements précieux et lui permettre de vivre la réponse du Dalaï Lama.
Elle rencontre cet ascète et magicien, le plus renommé du Sikkim, l’ermite et maître Lachen Gomchen Rimpoché au monastère de Lachen. Elle réussit à le convaincre de la prendre comme disciple. Elle restera deux ans en retraite dans une grotte. Dans la caverne de son ermitage où elle séjourne, elle suit les enseignements de son gourou Lama Gonchen de Lachen. Voilà le cœur de son cheminement initiatique.
Elle suit cet enseignement avec rigueur et apprend à maîtriser le TOUMO, son maître lui donne le nom de « lampe de sagesse ».
« Je fais des progrès dans la pratique du TUMO, cette méthode tibétaine qui permet de produire de la chaleur par autosuggestion. Je contrôle si bien ma respiration et ma circulation sanguine que je peux rester assise dehors par moins quize degrés vêtue d’une robe légère, sans souffrir du froid. Je deviens peu à peu une source de bien être comme les Lamas. »*

La pratique du TOUMO se transmet de maître à élève, de génération en génération. Ces enseignements lui serviront au cours de ses voyages et sa traversée vers le TIBET où elle est restée en vie en traversant des sommets himalayens en marchant jour et nuit, bivouaquant dans des conditions extrêmes.
« Seule, on l’est toujours. Les plus chers de ceux qui nous entourent ne sont que les témoins de notre solitude ; des compagnons de notre « moi » extérieur, mais où est le compagnon du « moi » intime caché au fond du cœur, au fond de l’esprit. »
La quête d’Alexandra est spirituelle, intérieure et constante. En lisant ces extraits de la correspondance avec son mari, on suit le questionnement essentiel qu’elle s’impose auquel elle répond par sa pratique exigeante.
Elle gardera toute sa vie la nostalgie de sa retraite dans sa grotte où dit elle, elle a fréquenté une demeure où elle est montée si haut. « Les Dieux se vengent ils, mais de quoi se vengent ils ? De mon audace à avoir troublé leur demeure, ou de les avoir abandonné ? »
En 1916, elle ne repart pas seule du Sikkim. Elle a pris à son service Apo Youn DU , il va tout quitter pour suivre celle qui deviendra sa mère adoptive et son maître spirituel. Ensemble ils vont d’abord au Japon pour continuer l’étude du Bouddha, et reviennent au monastère KUMBUM au Népal où ils restent trois ans pour rejoindre le Tibet. C’est cette traversée, déguisée en servante qui l’a rendra célèbre. C’est sur, c’est un exploit, mais ce n’est pas ce qui a retenu mon attention dans la vie de cette femme. C’était son objectif, son but. Comme elle le confiera elle même « ce n’est pas le but qui compte, c’est la route qui y mène ». De ce caractère et cette personnalité parfois extrème, émane un goût pour l’exploit. Etre la première européenne à pénétrer Lhassa, fut un exploit fort médiatisé à l’époque. Tout ce périple est très bien décrit dans son livre «Voyage d’une parisienne à Lhassa »,repris sur un film de ARTE et visible sur internet .
Elle fût également la première femme européenne à approcher le Dalaï Lama.
Il faut bien le reconnaître, elle est poussée par une intuition profonde, et un désir d’approfondir le mystère si fort, que la vie a mis sur sa route tous les êtres éclairés qu’elle devait rencontrer.
Elle n’a rien lâché, elle a marché, accepté toutes les conditions de retraites himalayennes pour vivre l’enseignement, gravit les sommets dans des conditions de vie extrêmes, tout cela en cherchant l’enseignement du Bouddha. Tout cela des années durant… tout en étant moine bouddhiste et lama.
« Je veux vivre selon les principes de la philosophie bouddhiste.
Je veux vivre dans la vigilance, l’esprit en éveil et lucide. L’attention est la voie qui mène à la victoire par delà la mort. Je ne me prosterne pas devant les Dieux, je me mets à genoux devant mon « moi », unique fondement de tout effort. »

Lorsqu’elle rentre en France, elle a 57 ans, et elle se consacre plus encore à l’écriture et à l’étude.
Elle repart pour étudier encore à l’âge de 70 ans…
Elle cherche encore et encore, plus précisément, plus promptement, avec encore plus d’exigence.
Je déplore aujourd’hui le non-renouvellement éditoriale de son œuvre. Elle est une lumière éclairante ou tout au moins inspirante dans ces temps parfois sombres.
Alexandra David Neel a ouvert une voie : la voie de ne pas parler de spiritualité dans les salons mais bien d’aller vivre sur le terrain la vie des maîtres. Elle y a consacré sa vie. Elle a passé 2 ans dans une grotte à 4000 m d’altitude seule, pour vivre l’expérience. Elle a laissé un patrimoine considérable d’écrits rares, de sagesses, pour partager ce vécu. Pour rayonner et que d’autres puissent emprunter la voie de terrain du Bouddha.
Jusqu’à ses 101 ans, elle a couché sur papier jour et nuit ses souvenirs, son étude, ses voyages, ses rencontres.
Je m’incline devant une telle audace et une telle pugnacité.
Alors bien sur, comme tous les défricheurs elle avait un caractère bien trempé, et un tempérament de feu. Toute imparfaite qu’elle est, elle a fait la trace. Ouvrir un chemin, tracer la voie c’est permettre aux autres de l’emprunter. Je suis précautionneuse en écrivant sur elle, je ne suis pas allée vivre l’expérience du TOUMO dans la grotte suite à une réponse d’un maître. Rien que pour cela elle mérite tout le respect, et quiconque qui souhaite parler ou écrire sur elle, ne devrait pas l’oublier.
« Les grands destins sont toujours des destins d’égoïstes. Et quand ils sont accomplis, ils se changent en phares puissants qui nous éclairent »
*Toutes les citations sont extraites de l’immense correspondance qu’elle a entretenue avec son mari ou du livre « une parisienne à Lhassa ».
Article paru dans la revue Reflets n°40