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Etty HILLESUM – L’histoire de sa vie
2 février 2025LA LUMIÈRE AU CŒUR DES TÉNÈBRES
« En moi un immense silence qui ne cesse de croître,
tout autour un flux de paroles qui vous épuisent,
parce qu'elles n'expriment rien.Il faut être toujours plus économe de paroles insignifiantes...
Le silence doit nourrir de nouvelles possibilités d'expression »
EH

Connaissez-vous son journal « Une vie bouleversée » ?
C’est un livre profondément initiatique, il fait vraiment partie de ces livres qui aident à vivre.
Qui est-elle ? Je vous livre là le résumé de sa vie, à partir de 1941…
Née en 1914, elle commence ce chemin d’éveil à l’âge de 27 ans en 1941.
Elle vit aux Pays Bas dans un contexte de guerre, le pays a été envahi par les Allemands depuis 1940. Etty est juive, elle a 27 ans, elle est issue d’une famille d’intellectuels non pratiquants, elle vient d’être diplômée en droit et dans sa curiosité intellectuelle, elle fréquente les cercles littéraires. Elle donne des cours de russe, la langue de ses ancêtres maternels. Elle est une jeune femme libre, dans sa pensée et dans ses actes, elle vit librement ses amours et dans une certaine insouciance. Un mal-être profond s’installe en elle.
Elle tente de combler ce vide abyssal par la multiplication de partenaires, elle ressent une humeur en dents de scie et devient de plus en plus dépressive dans ce contexte peu sécurisant d’occupation, elle cherche alors un moyen de vivre mieux, et se tourne vers des thérapies nouvelles telles que la psychanalyse pour tenter de résoudre son mal-être.
Auprès de Julius Spier, elle trouve une aide. Ancien élève de Jung, psycho-chirologue et juif comme elle, il devient son thérapeute, son ami, son amant, son amour, « l'accoucheur de son âme » comme elle aime le définir.
Elle analyse au départ toute son instabilité psychologique.
À la demande de son thérapeute, elle rédige son journal, c’est un outil qui lui permet de développer sa thérapie. Elle s’y livre dans une grande sincérité. Au départ, elle est en guerre contre elle-même, elle fait un transfert, elle est obsédée par cet homme, Julius SPIER, et lui confie sa vie. Elle peut transcender cet amour, l’amour d’un homme vers l’humanité, vers les autres, vers Dieu. C’est ce que lui enseigne Julius SPIER.
Il l’encourage à enrichir sa thérapie par des lectures et des auteurs avec une intériorité comme Tolstoï, Dostoievski, Saint Augustin, Rilke…
Dès le début de cette recherche avec son thérapeute, elle écrit dans son journal ce qu’elle ressent, comment elle avance dans ce pas à pas d’introspection « un peu de paix et d’ordre s’installait en moi.../… Tous les matins avant de me mettre au travail, une demi-heure pour retourner vers l’intérieur de moi-même, rentrer en moi-même… L’homme est corps et esprit, une heure de paix, ça n’est pas si simple, cela s’apprend ».
Avec son journal, nous suivons le cœur de son intériorité et de sa progression. Julius Spier la guide au-delà de l'amour qu'elle lui porte, au-delà de l'amour affectif, mais plutôt vers un amour plus grand, sans possession. C'est l'éclosion pour elle d'un véritable cheminement spirituel.
Parce que c’est bien au cœur de son intériorité qu’elle parviendra à parler avec Dieu.
Elle parle d’un Dieu judéo-chrétien, mais son regard est beaucoup plus universel.
Elle est une intellectuelle, son Dieu est très personnel, au cœur de son centre ; en la lisant nous assistons à une véritable conversion vers cette immanence.
Confrontée à l'épreuve nazie, Etty découvre Dieu comme une réalité intérieure qui la porte et dont elle se distingue à peine : "La couche la plus profonde et la plus riche en moi où je me recueille, je l'appelle Dieu."
Dans cette couche, elle s'enracine, avec ce Dieu elle converse, l'expérimentant comme source et le prenant pour confident.
« Ma vie est vouée en un dialogue ininterrompu avec toi, Mon Dieu. Quand je me tiens dans un endroit du camp, les pieds plantés dans la terre, les yeux levés vers le Ciel, j'ai parfois le visage inondé de larmes, unique exutoire de mon émotion intérieure et de ma gratitude. Le soir aussi je me recueille en toi et des larmes de gratitude m'inondent le visage, c'est ma prière ».
Viennent aussi de profonds désirs d'écriture, une conviction l'habite, elle se sent un écrivain dans l'âme,"Je voudrais parfois me réfugier avec tout ce qui vit en moi dans quelques mots, trouver pour tout un gîte dans quelques mots." "Un jour je serai écrivain. Les longues nuits que je passerai à écrire seront mes plus belles nuits."(26 MAI 42). Elle nourrit cette aspiration à aider les autres à "se sentir enfin adulte et capable d'assister à son tour d'autres créatures de cette terre... c'est cela qui importe finalement." Cette aspiration sera comblée à Westerbork. En attendant, Etty s'analyse, essaie de se comprendre et de mettre un peu d'ordre dans son monde intérieur, ses pensées, ses ressentis, ses interrogations. Elle cherche en particulier à élucider cette haine des Allemands qu'elle ressent. Ses rencontres littéraires l'aident : Dostoievski, Saint Augustin, Rilke, Yung, Les Evangélistes, Michel-Ange et Léonard de Vinci.
Julius meurt la veille de sa déportation ; dans une dernière lettre, Etty lui confie : « J'avais encore mille choses à te demander et à apprendre de ta bouche. Désormais, je devrai m'en tirer toute seule. Je me sens très forte tu sais, je sais que je vais réussir ma vie. C'est toi qui m'as appris à libérer les forces dont je dispose. Tu m'as appris à prononcer sans honte le nom de Dieu. Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi. Toi le médiateur, tu te retires et mon chemin désormais mène directement à Dieu. »
À partir de 42, elle demande volontairement son affectation pour Westerbork, un camp de transit et de rassemblement réservé aux juifs, alors que ses amitiés lui permettaient de demeurer encore préservée de ce sort-là. Elle veut être près des siens, elle ne veut pas de traitement de faveur, et elle voit dans ce transfert l’occasion d’assumer pleinement ce qui lui tient à cœur : se sentir utile. Elle se sent porteuse d'une mission. Elle sait qu'elle doit mettre de la lumière là où les ténèbres sont les plus épaisses.
Avec sa personnalité lumineuse, et son sens du service elle s’occupe de l’enregistrement des arrivants. Elle se donne à la tâche sans compter « on voudrait être un baume versé sur tant de plaies ». Évoquant ses nuits d’insomnie et de réflexion dans son baraquement, elle écrit : « puisé-je être le cœur pensant de cette baraque ».
Coincée dans ce ghetto où elle finit par être enfermée, elle s’adonne dans ce contexte hostile à l’exercice quotidien d’un amour total pour les autres. « Il ne suffit pas de te prêcher, Mon Dieu, pour te mettre un jour dans le cœur des autres. Il faut dégager chez l’autre la voie qui mène à toi, et pour ce faire, il faut être un grand connaisseur de l’âme... »
Le 7 septembre 1943, elle est déportée à Auschwitz avec toute sa famille où elle mourra en novembre .
« Écouter, au plus profond de soi-même. Se laisser guider, non plus par les incitations du monde extérieur, mais par une urgence intérieure. Et ce n’est qu’un début. Je le sais. Mais ce n’est déjà plus un début hésitant, les fondements sont jetés » (1er janvier 42).
S’inspirer de Etty Hillesum dans sa vie quotidienne…
- Rédiger un journal, comme un outil d’exploration de soi-même, en toute vérité, pour s’observer et faire remonter ses zones d’ombres. Ce vaste travail d’introspection demande humilité, lucidité et constance.
- Accepter tout ce qui est, chercher à s’aimer.
- S’inspirer d’auteurs tels que Saint Augustin, Maitre Eckart, Rilke, Dostoievski, Tolstoï…
- Faire confiance en la vie
- Lutter activement contre ses ressentiments, les jugements que l’on porte… Etty s’entraîne face à l’occupant nazi chaque jour plus pervers envers le peuple juif. Il lui arrive de succomber à la haine, pour autant elle identifie rapidement le poison dévastateur que ce genre d’émotion engendre en elle. Elle cherche à endiguer cette maladie de l’âme, en jugulant le ressentiment afin qu’il ne la pollue pas. Cela est possible parce qu’elle a une bonne connaissance de son passé et de son fonctionnement qu’elle a pu affiner avec son travail d’introspection.
- Pardonner
- Prendre soin des autres, donner une utilité à sa vie.
- Trouver son lien intime avec la Transcendance, qu’elle appelle Dieu.
Lettre à Etty
Si chère Etty,
Depuis des années je me plonge avec intérêt dans tes écrits.
Je dois t’avouer qu’ils nourrissent ma foi, ma joie, mes questionnements…
J’y ai puisé tant de réconfort, de paix, mais aussi des solutions, des outils pour nourrir mon cheminement intérieur et mon quotidien.
J’apprends avec toi à mettre de l’ordre à l’intérieur, à pousser la connaissance.
La sincérité et la profondeur de ton texte invitent à chercher sa propre vérité.
La simplicité de ton écriture, l’audace de noter tout ton quotidien de femme sont vraiment éclairantes pour la femme en recherche que je suis.
Ton exigence, ton humour, ce dialogue avec toi même pour évoluer, tout cela fait tant de bien dans notre monde actuel.
Tes rencontres littéraires m’ont également inspirée.
Comme toi, je voyage dans la littérature spirituelle pour ouvrir ma conscience.
Et c’est bien comme cela que je t’ai rencontrée...
Cette spontanéité que tu nourris dans ta relation avec Dieu,
Ce dialogue direct, incite à la relation si simple avec la transcendance.
J’aurais tant aimée te rencontrer, échanger avec toi.
Te lire, c’est te rencontrer,
Je voulais sincèrement te remercier de cette empreinte magnifique que tu as laissée sur terre par ton journal et ton œuvre épistolaire.
Je voulais te remercier de cette profondeur et cette simplicité, elle invite à cette quête.
Tout est dans tes écrits, tu as tracé un véritable chemin qui invite le lecteur à son propre retournement intérieur.
Tu écris dans ton journal : « Un jour j’irai rendre visite à cette fille*, je la regarderai au fond des yeux et j’écrirai l’histoire de sa vie. J’ai parfois ce sentiment, je veux aller voir telles ou telles personnes , je veux savoir quelle a été leur vie et en faire le récit. Mais c’est idiot naturellement. Il y a ici cent vies à décrire... ». C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant tes écrits.
J’aimerais que tout le monde te connaisse, te lise, tant tes écrits sont inspirants.
Ce devoir de mémoire, tu y tenais et il continue...
Merci d’avoir été qui tu as été,
Maryline
*Hedda HAMMER : photographe.